Conférence du 11 octobre 2022:
« Vivre à Rouffach en 1616, Histoire(s) et vie quotidienne du Rouffach d’Antan, à la veille de la Guerre de Trente Ans »,
par Monsieur Gérard MICHEL, historien.
Monsieur Gérard MICHEL
Le Palais de la Régence étant en travaux, c’est dans la salle de la médiathèque mise à disposition par la municipalité d’Ensisheim, que s’est déroulée la conférence donnée par M. Gérard Michel.
C’est un public intéressé , venu en nombre d’Ensisheim, mais également des villages environnants, ainsi que de Rouffach, qui s’est déplacé dans notre commune.
Le conférencier a situé son récit en 1616 car, pour lui, cette date correspond au basculement entre deux époques importantes : le « beau » 16ème siècle (avec l’épanouissement de la littérature, de la peinture, des arts…et une période relativement paisible) et le 17ème siècle, période troublée, notamment par la terrible Guerre de Trente Ans (1618-1648), qui a affecté durablement les provinces de l’Est…
A cette époque, le Saint Empire Germanique est constitué d’une mosaïque d’environ 350 états (terres d’Empire, villes libres, seigneuries, dont de nombreux territoires minuscules disséminés dans toute l’Europe centrale…)
La Haute Alsace était partagée entre l’évêché de Strasbourg, la famille des Habsbourg, celle des Ribeaupierre, les abbés de Murbach, ceux de Munster.
Les villes de Rouffach, Soultz et Eguisheim appartenaient à l’évêque de Strasbourg en tant que seigneur territorial (et réunies au sein d’une entité appelée l’Obermundat).
La ville de Rouffach, capitale de l’Obermundat.
- Michel a donné les explications suivantes en s’appuyant sur une légende:
Au VIIème siècle, le fils de Dagobert II, roi d’Austrasie, (Sigisbert, qui résidait vraisemblablement au château d’Isenbourg) a été blessé à mort par un sanglier lors d’une partie de chasse survenue à Ebersmunster, et a été ressuscité par Arbogast, évêque de Strasbourg.
En signe de reconnaissance face à ce miracle, Dagobert II a donné l’Obermundat à l’évêque de Strasbourg.
Rouffach est devenue capitale de l’Obermundat et l’est restée jusqu’à la Révolution.
La vie à Rouffach au 17ème siècle
C’est au travers de l’étude de nombreux comptes rendus anciens transcrits lors des séances hebdomadaires du Magistrat que M. Gérard MICHEL a su nous retranscrire la vie dans la cité de Rouffach dans les premières années du 17ème siècle.
A l’époque, la ville de Rouffach était entourée de fortifications, ainsi que de tours. On estime que le mur d’enceinte faisait 2151,80 mètres de longueur.
La population (non compris les vagabonds et indésirables) était estimée à environ 1800 personnes.
Le cours d’eau OHMBACH
L’Ohmbach, ruisseau qui prend sa source sur les hauteurs de Soulzmatt et qui traversait Rouffach, a joué un rôle important dans la cité. Il a permis l’implantation de nombreuses activités.
Non seulement il alimentait moulins, tanneries, abattoirs, boucheries,… mais deux étuves (bains publics) étaient aussi installées sur son cours… A l’époque, où il n’y avait ni égout, ni collecteur, le cours d’eau jouait également un rôle dans l’assainissement, et nous pouvons imaginer les problèmes liés à l’hygiène…
De nombreux conflits découlaient de l’utilisation de l’eau, et des différents usages qui en étaient faits.
L’étude des incidents consignés a permis de savoir quelles étaient les activités, et de connaitre les suites données aux litiges …
Le Magistrat et le conseil municipal de l’époque
La ville était administrée par un conseil composé de 15 élus (dont certains de manière permanente), avec à sa tête le « Magistrat ».
Ensemble, ils géraient le quotidien des habitants, et veillaient aux règlements qui régissaient les activités.
Ils veillaient au bon emploi des finances, et avaient en charge la Justice de la ville.
5 postes étaient particulièrement importants et avaient un rapport avec les revenus financiers de la cité:
– Gewerfer: receveur de la Taille
– Umgelter :receveur de l’impôt indirect (vins)
– Kirchenpfleger : donations aux églises
– Spitalpfleger: gestion de la santé
– Gutleuthpfleger: gestion de la léproserie (« les bonnes gens »)
- Michel a précisé que les conseillers, à cette époque étaient issus de familles très fidèles au Magistrat, et que certains d’entre eux disaient ne savoir ni lire ni écrire, sans doute pour ne pas être tenus responsables d’erreurs dans leur gestion, en particulier dans le cas des sentences judiciaires (liée ici à leur « méconnaissance du droit »).
Durant son exposé, M. Michel a relaté de nombreuses anecdotes liées à la vie quotidienne des habitants; il a entre autre, évoqué l’obligation pour les habitants d’entretenir correctement leurs cheminées sous peine d’amendes, ainsi que les « Schlupf » (le passage étroit entre deux maisons), précisant que ces « Schlupf » servaient également de collecteurs pour certaines ordures que les cochons se chargeaient de nettoyer…
Le conférencier a également évoqué la façon dont était rendue la justice, et les sanctions qui pouvaient en découler :
– Les offenses et délits étaient sanctionnés parfois par une amende variable, d’autres fois par une humiliation publique (port d’un carcan dans les rues de la ville, exposition à la vie de tous…)
– Le bannissement était parfois prononcé pour certaines personnes, une sanction leur interdisant de revenir sur le territoire de la ville. Cette mesure peut aujourd’hui semble anodine mais équivalait alors à une mort civile: les bannis n’avaient plus de droits et quiconque pouvait les maltraiter voire les tuer sans risques judiciaires.
– Les crimes étaient sévèrement punis ( prison, châtiments corporels , voire exécution); mais les sentences de mort étaient toutefois bien moins nombreuses qu’on ne se l’imagine aujourd’hui. Le tribunal s’appuyait en effet sur des textes juridiques précis et rigoureux, mis en place par l’empereur Charles Quint vers 1550..
Comme dans de nombreuses autres cités, Il existait un gibet à Rouffach, où les suppliciés étaient exposés, situé non loin du château de l’Isenbourg; seules les sorcières étaient exécutées dans un lieu à part, hors la ville. Il y avait de même un bourreau, chargé des exécutions de divers types (décapitation, noyade, mise au bûcher, enfouissement, écartèlement…).
Les jour fériés, « Tanzen und Springen »
A l’époque, les jours de fêtes étaient nombreux et chômés, avec interdiction d’effectuer certaines tâches, soit environ 1/3 des journées de l’année . Les habitants de la cité se devaient, en outre, d’assister aux processions et aux offices religieux avec leur famille et leurs personnels sous peine d’amendes.
Les jours de fête étaient l’occasion de réjouissances diverses, pour la population, mais toujours encadrées par des règlements.
La population aimait se divertir au travers de jeux de dés, de quilles, des jeux de force, de lancer de poids…
- Michel a évoqué un exercice très prisé par la population : le tir.
Cette activité attirait de nombreux amateurs qui n’hésitaient pas à venir depuis les villages environnants, et parfois de villes plus lointaines. Les pièces d’armement étaient essentiellement des mousquets ou des arquebuses, l’activité se pratiquait dans le fossé de la ville. Les vainqueurs étaient parfois récompensés par un prix qui était quelquefois un boeuf qu’ils emportaient alors dans leur village.
La ville de Rouffach ne manquait ni d’auberges, ni de cabarets; on y buvait, on y jouait, et, bien sûr, des abus y étaient parfois constatés, comme des bagarres, ou des faits de prostitution .
Ces faits étaient souvent sanctionnés.
Conclusion
- Michel, au travers de ses recherches, nous a fait revivre le quotidien des hommes dans leurs activités, à Rouffach, au début du 17ème siècle.
Si certains éléments nous apparaissent bien lointains, le mode de vie et les préoccupations des bourgeois de Rouffach ont de grandes similitudes avec les nôtres.
Une grande partie des fortifications a été détruite en 1803, mais il reste encore de nos jours de nombreux vestiges du Rouffach d’antan.
Il est à préciser que les recherches de M. Michel sont consultables sur le site internet qu’il a créé:
obermundat.org