La seconde conférence de la société d’histoire, en ce début d’année, s’est tenue mardi 26 février dans le formidable écrin de la Régence, comme à l’habitude, gracieusement mis à notre disposition par la ville d’Ensisheim. Qu’elle en soit remerciée ! Une assemblée fidèle a suivi avec grand intérêt le thème développé par M. Philippe Jéhin, docteur en histoire : La forêt, un espace vital, le regard d’un historien.
Le conférencier a su capter l’attention de tous, rassurant sur l’état général de nos forêts européennes et tout particulièrement celle chère à nos cœurs, la Hardt.
Evoluant d’une notion d’espace économique vital jusqu’à une forêt aux abois à la fin du XVIIIe siècle, passant par une période de réglementation frénétique, tant en Alsace qu’ailleurs, M. Jéhin a parcouru un millénaire d’existence d’espaces forestiers, jugés immuables si l’on s’en tient à un regard superficiel.
C’est ainsi qu’une forêt source économique vitale nous a été décrite d’abord au quotidien, notamment à la période médiévale, où elle était essentielle au foyer pour le chauffage, la cuisine ou encore la construction, puis source de matériaux indispensables à l’industrie, à la défense (les navires, les fortifications) ou à l’habitat et enfin nourricière, avec la chasse, la cueillette ou l’indispensable pâturage du bétail.
Le conférencier a ainsi employé une formule, encore d’actualité : « du berceau au cercueil, l’homme, et notamment l’Alsacien, est entouré de bois ! »
Cette hyperactivité économique a inéluctablement généré des conflits, des jalousies et des abus. D’où la nécessité de réglementer les usages et l’accès à cette ressource qui paraissait infinie. Si la volonté initiale de réglementer était animée de la bonne intention d’attirer et de fixer de nouveaux habitants, elle a inexorablement évolué vers des contraintes et des rejets. Ainsi du droit d’usage de l’espace, créant des notions d’affouage, de marnage ou encore la fameuse mesure des glandées par laquelle les seigneurs fixaient des périodes où chaque famille pouvait laisser pâturer jusqu’à deux porcs dans la forêt. Les conséquences ? Une forêt toujours moins dense, voire clairsemée, et d’innombrables tensions entre l’Etat, les seigneurs et la population.
Comme de nos jours, le pouvoir réagit alors….avec de nouvelles réglementations… cette fois assorties de répressions. L’Empereur Ferdinand 1er promulgue une grande ordonnance forestière en 1557. Le pouvoir de gestion et de contrôle est transféré à un officier d’abord implanté à Habsheim puis à Ensisheim. Mais la forêt continue de se dégrader.
En 1694, après le rattachement de l’Alsace à la France, le nouveau monarque crée deux maîtrises pour les forêts alsaciennes, l’une à Haguenau pour la Basse Alsace et l’autre à Ensisheim pour la Haute Alsace. Ensisheim est donc au cœur du pouvoir, à proximité directe de la plus grande des forêts de la région, la Hardt, gérée par la compagnie de la Hardt depuis le Moyen Age. Mais la ressource reste soumise aux pressions seigneuriales et aux exigences du pouvoir royal. En 1730, la monarchie reprend la main. C’est l’émergence d’une notion encore inconnue : la sylviculture.
Dans une dernière partie, le conférencier présente une forêt aux abois au XVIIIe siècle.
Réserve foncière, elle a toujours subi de plein fouet l’essor démographique depuis plus d’un millénaire, reculant progressivement sous les assauts des besoins agricoles ou d’expansion urbaine.
L’écobuage et essartage étaient l’essentiel de ce qui dégradait et surtout faisait reculer la forêt depuis l’aube de l’agriculture, avec une accélération au milieu du Moyen Age ; l’industrialisation, ensuite, dès les débuts de l’époque moderne, avec le bois nécessaire aux hauts fourneaux, va avaler des kilomètres carrés de forêt, le processus atteignant un paroxysme au XIXe siècle, avant le développement de l’usage du charbon et l’arrivée de la fée électricité. Cette déforestation a d’ailleurs provoqué d’importantes inondations, l’eau dévalant des pentes nues de nos montagnes sans pouvoir s’infiltrer dans les sous-bois, la dernière en date étant celle de 1910. Mais les pouvoirs publics ont d’emblée perçu les dangers et mis en place progressivement des mesures destinées à juguler le phénomène.
Il aura fallu attendre 1827, et la création du code forestier pour qu’enfin le massacre cesse. Le pâturage est interdit et une politique de reboisement est mise en œuvre. La révolution industrielle réduit les besoins en bois au profit de nouveaux matériaux. Les populations urbaines supplantent celles du monde rural. Sous le second Empire et la IIIème République le reboisement est massif. Le retour de l’Alsace à la France, en 1918, ne ralentit pas l’évolution, car les autorités allemandes étaient animées des mêmes intentions. Ces dernières avaient même instauré le réputé modèle prussien, avec cet alignement remarquable des arbres que l’on retrouve un peu partout, optimisant ainsi l’espace.
C’est donc avec une note optimiste que notre conférencier a conclu, soulignant que, contrairement à de nombreuses contrées de l’hémisphère sud, la surface forestière française a plus que doublé depuis la Révolution, évoluant depuis 7 millions d’hectares pour en atteindre aujourd’hui plus de 15 millions. A l’aube du XXIe siècle, la forêt retrouve donc un intérêt écologique, économique, voire récréatif.
Pendant des siècles, elle joua un rôle vital pour toutes les catégories sociales. Gageons que l’avenir qui lui semble promis sera désormais….florissant !
La prochaine conférence de la SHE se déroulera le 26 mars 2019 à 20h15, toujours dans la salle de la Régence. Nous croiserons l’histoire de Pierre de Hagenbach, bailli de Charles le Téméraire, chef de guerre et légende noire ayant marqué l’histoire de l’Alsace. Gabrielle CLAER-STAMM, présidente de la Société d’Histoire du Sundgau, et auteure d’un ouvrage sur le sujet, nous exposera par le menu la vie de ce chevalier sundgauvien controversé.
Mme Claer-Stamm dédicacera d’ailleurs son livre après la conférence.
La conférence sera précédée de l’assemblée générale de la SHE, à 19h.