« Les mines de Wegscheid à la fin du Moyen-Âge,35 ans d’investigations »
Bernard BOHLY – Archéologue
Faisant suite à l’assemblée générale 2023 de la Société d’Histoire d’Ensisheim, le 11 avril 2023 en la médiathèque « Espace Liberté » d’Ensisheim, conduite de main de maître par son président Jean-Jacques SCHWIEN, le public plutôt nombreux a assisté à une conférence originale et captivante menée par M. Bernard BOHLY, archéologue, sur le thème des mines exploitées durant le Moyen-Âge dans le secteur de Wegscheid (vallée de Masevaux).
L’assemblée était donc invitée à plonger dans une époque lointaine, quelque part entre les 14ème et 16ème siècles, dans les dédales d’un petit espace minier creusé par les hommes de cette ère, en fond du vallon de Soultzbach, un affluent de la Doller. Forts des travaux conduits par son équipe depuis le milieu des années 1980, Bernard BOHLY, intarissable sur son sujet, a tenu en haleine l’auditoire par son récit, ses photographies, ses croquis et quelques anecdotes captivantes.
Introduit par une première approche géologique permettant d’identifier le type du gisement minier et les minerais recherchés, à savoir des sulfures de plomb, de cuivre, de zinc ainsi que des cuivres argentifères, le public a été informé des aspects historiques de l’existence de ces mines un peu atypiques.
La première mention se retrouve dans une charte historique de 1387, passée entre l’archiduc d’Autriche et l’Abbaye de Masevaux. Chaque partie se réservant, en résumé, la moitié des subsides.
Au 15ème siècle, sous l’impulsion de sociétés d’investissement de Bâle et de Strasbourg, plusieurs mines sont creusées et, un peu en avance sur les sociétés actuelles, une économie de capitaux est créée, avec un regroupement de 38 actionnaires se partageant les parts sociales.
C’est à cette période, relativement brève, que se situe l’apogée de l’exploitation minière dans ce petit vallon. En effet, dès 1527, on relève une première baisse de production, à tel point que l’archiduc d’Autriche envoie une équipe d’inspection pour évaluer les difficultés. Le travail mené est plutôt intéressant à étudier aujourd’hui, car il a permis de dresser un inventaire des mines exploitées, ainsi que de l’ensemble des installations du vallon. Travail précieux pour les historiens que nous prétendons être !
C’est ainsi que des matériels originaux pour l’époque ont été identifiés, tels qu’un système de pompage par filtration (une pompe à balles), de 1555.
Une légère reprise de l’activité a suivi cette mission d’inspection, hélas guère pérenne, puisque dès la fin du 16ème siècle, la production a de nouveau chuté. Définitivement cette fois, entraînant l’abandon en l’état des installations.
Une personnalité bien connue du monde des mineurs de potasse, Joseph Vogt, a tenté 3 siècles plus tard, en 1908, de relancer l’activité en réinvestissant dans le fond du vallon de Soultzbach. Mais là encore, c’était peine perdue car, après 3 années d’efforts, il a fallu se rendre à l’évidence et abandonner tout espoir. C’est définitivement que les installations ont été démontées et le paysage rendu à son décor originel. Néanmoins, les études et les travaux de Joseph Vogt se sont révélés précieux pour les recherches de l’équipe de Bernard BOHLY.
C’est en effet à partir de ces relevés que les équipes se sont mises au travail, au mitan des années 1980, reprenant méthodiquement chacune des 4 mines identifiées et s’enfonçant à leur tour dans les entrailles du vallon, à la recherche des activités des mineurs du 15ème siècle.
Une des particularités des mines de Wegscheid réside dans leur implantation, perpendiculaire à l’axe du vallon. Entre 1987 et aujourd’hui, ce sont ainsi quatre mines qui ont été méthodiquement dégagées et examinées par Bernard BOHLY et ses amis.
La première d’entre elle, celle de Saint Wolfgang, a été explorée à partir de 1987. Elle présente la particularité d’avoir ses galeries creusées au feu. C’est une technique utilisée par les mineurs de l’époque, qui ne disposaient pas des outils performants de nos jours. Le mineur accumulait des matière combustibles, en général du bois, et y mettait le feu. Ce dernier brûlait un certain temps puis le mineur intervenait sur la roche pour en dégager des petites plaques de minerai. Le travail était long, fastidieux et guère enrichissant. Une expérimentation contemporaine menée dans les Alpes par l’équipe de Bruno ANCEL a permis de juger de l’ampleur du travail nécessaire pour gagner quelques centimètres.
Patiemment dégagé, un plan complet de cette petite mine, avec ses galeries et puits, a pu être établi. Les chercheurs y ont trouvé quelques céramiques culinaires au fond, attestant que les mineurs y prenaient leurs repas sur place, ainsi que des fragments de lampe en terre cuite datée de la fin du 15ème siècle.
Une seconde mine, celle de Fürstenbau, a été explorée à compter de 2016.
Les chercheurs ont pu déterminer que l’activité y avait cessé en 1527. Elle était creusée et exploitée selon la méthode du mineur unique. C’est à dire qu’un seul mineur y travaillait, creusant et exploitant selon une formule au forfait. La première partie de cette mine a également été taillée au feu. En revanche la seconde partie était taillée avec une technique un peu plus connue, à la pointerolle. Là encore, le travail était pénible et ne progressait qu’avec parcimonie, en l’occurrence 2,25 mètres en 14 semaines.
La troisième mine a avoir été fouillée est celle d’Unserfrau. Les recherches y ont débuté en 1995. Ce site s’est révélé particulièrement complexe à explorer, entraînant de nombreuses déconvenues et complications, tant pour l’équipe de M. BOHLY que pour les habitations riveraines. Néanmoins les découvertes y furent surprenantes.
Ainsi, alors que l’équipe était au travail de l’autre coté de la petite route serpentant au fond du vallon, un riverain la sollicitait afin de venir examiner le sous-sol du jardin de sa maison, qui présentait des signes récurrents d’effondrement. Le riverain lui-même, alors qu’il vaquait à son activité de jardinage avait été brutalement emporté 4 mètres plus bas, dans une excavation soudainement ouverte par un effondrement. Malgré plusieurs comblements, la terre continuait à se dérober au fil du temps. Des premières recherches menées par M. BOHLY confirmaient qu’à l’aplomb des effondrements se trouvait bien un puits. Probablement en lien avec l’entrée de la mine Unserfrau située de l’autre coté de la route. De fouilles en fouilles, la gravité de la situation n’en devenait que plus évidente. Car sous la terre, les chercheurs découvraient quelques années plus tard, un cuvelage médiéval en parfait état,…car immergé. Il était constitué de poutres de sapin, empilées sur 9 épaisseurs, sous forme d’un quadrilatère, l’ensemble reposant sur 2 poutres principales, toujours en sapin, de section d’environ 20 centimètres. Le tout s’appuyant sur une espèce de voûte en pierre menaçant de s’écrouler sous l’action du ravinage. En résumé, la situation devenait périlleuse, tant pour les chercheurs, que pour le riverain, voire pour l’ensemble du site. La mairie s’étant portée acquéreuse d’une partie du terrain, des travaux d’ampleur ont été mis en œuvre sous la conduite de la DREAL, consistant à couler une grosse chape de béton avant de remblayer. La situation reste à l’avenir sous surveillance et, compte-tenu d’une ambiance un peu conflictuelle, M. BOHLY et ses amis en sont quittes pour poursuivre leurs recherches dans les autres mines du vallon.
La quatrième et dernière mine est celle du Reichenberg. Son exploration a débuté en 1998 et elle est toujours en cours.
L’entrée de cette mine a été effectuée au dépilage, rendant compliqué son accès tout en dévers. Les chercheurs ont progressé dans les boyaux, extrayant au fur et à mesure les déchets ayant quasiment comblé la totalité du site. Ils y ont mis en évidence le creusement d’un caniveau servant à évacuer les eaux, caniveau qui présente la particularité d’avoir été équipé de planches de bois dans son fond sur 20cm de large. Un ingénieux système de pompe a également été identifié et il a fallu mettre en place un système d’évacuation à partir de rails et de wagonnets avec des petits sceaux pour permettre la sortie des gravats. Une fois le travail d’excavation achevé, les chercheurs ont été confrontés à la difficulté d’aménager l’entrée de la mine, à l’aide de 7 buses en bétons spécialement confectionnées à cette fin. Là encore, M. BOHLY a passionné l’auditoire en narrant toutes les péripéties inhérentes à ce type d’ouvrage.
En conclusion, le conférencier est revenu sur la richesse de la découverte de mobiliers en tous genres, tels qu’un exceptionnel creuset, des outils cuivreux, des pointerolles qui, pour quasiment la totalité, étaient fabriquées directement sur place, sachant qu’il fallait près d’une dizaine de pointerolles par jour et par mineur, cela peut donner une idée du volume qu’il fallait produire. Divers autres outils ont été retrouvés dans les galeries abandonnées et comblées, tels qu’un marteau de forme octogonale, un râteau pour rassembler les gravats, une auge en orme, etc… le tout daté du 16ème siècle.
L’ensemble des explications de M. BOHLY étaient systématiquement appuyées par des diapositives, des plans ou des croquis, établis de sa propre main, rendant ainsi cette conférence particulièrement claire et ludique.
Chaleureusement applaudi par l’assemblée conquise par la passion et la compétence de son invité, M. BOHLY s’est vu remettre un petit présent par le président de la Société d’Histoire, dont les membres ont ensuite poursuivi les échanges autour du traditionnel pot d’après conférence.