Conférence de M. Jean Michel RUDRAUF
La salle du palais de la Régence, mise à disposition de la Société d’Histoire par la municipalité d’Ensisheim, a accueilli mardi 19 mars M. Jean Michel RUDRAUF pour une conférence dont le thème était « La construction en pierre dans les châteaux forts alsaciens ».
Cette conférence faisait suite à l’assemblée générale de la Société d’Histoire d’Ensisheim.
M. Jean Marie RUDRAUF
Ancien professeur de biologie désormais en retraite, M. Rudrauf est passionné d’archéologie médiévale depuis son enfance.
Il est membre du Centre de Recherches Archéologiques Médiévales de Saverne (CRAMS) , et est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur les châteaux forts de notre région.
Le choix des emplacements de construction
Les châteaux au Moyen Âge étaient construits sur des sites préalablement choisis.
- Rudrauf a expliqué que pour certains d’entre eux, afin d’y construire un ou plusieurs bâtiments , le terrain était soigneusement préparé. On établissait les bases d’une construction ou d’une défense de type fossé, et les pierres dégagées ou extraites pouvaient être ensuite utilisées dans la construction, à la condition qu’elles soient de bonne qualité.
Il a cité plusieurs exemples de châteaux ( Rotenburg, Wasenburg) qui illustraient le travail important de terrassement au niveau des fossés.
Il a aussi évoqué certaines constructions (Warthenberg près d’Ernolsheim-les-Saverne), qui pour des raisons inconnues (manque de financement ? défense devenue inutile ?…), n’ont jamais été terminées.
Le choix des pierres
En Alsace, la plupart des châteaux et édifices moyenâgeux étaient construit en grès, mais quelquefois aussi en granite (Ortenberg), plus rarement en roches métamorphiques ou schistes (Herrenfluh, Hugstein).
Le conférencier a expliqué que le choix des matériaux était important, et que lorsque les pierres n’étaient pas de bonne qualité sur place, d’autres carrières étaient exploitées.
Ces carrières pouvaient se trouver à proximité, ce qui limitait les coûts, mais parfois étaient plus éloignées (les pierres du Taennchel qui ont servi à l’édification du Haut-Ribeaupierre à Ribeauvillé étaient situées à environ deux kilomètres du château).
Il existe plusieurs cas où l’on constate que les matériaux anciens pouvaient être récupérés et servir à l’édification des bâtiments moyenâgeux : sur le Hagelschloss (près d’Ottrott), on remarque sur certaines pierres des entailles à queue d’aronde qui attestent d’une provenance du mur païen ceinturant le Mont Sainte Odile.
Des vestiges d’époque gauloise ou protohistorique ont aussi apparemment pu servir à construire l’enceinte de Krueth-Linsenrain près de Wettolsheim ou le Hagueneck sur les hauteurs d’Eguisheim.
Mais dans certains cas, il est difficile de dater les constructions, faute d’indices.
- Rudrauf a évoqué le château du Purpurkopf (non loin du Guirbaden à Mollkirch), en cours de fouilles par M. Florent Minot : il est considéré comme un des plus vieux châteaux forts d’Alsace, daté des 9ème ou 10ème siècles. On y a trouvé en réemploi des vestiges anciens comme une ancienne meule contemporaine de l’époque gauloise.
De nombreux édifices ont ainsi été visités et étudiés par M. Rudrauf.
Certains sont bien connus du grand public, d’autres ne le sont pas, et il est impossible de tous les nommer au travers d’un simple résumé (Heidenschloss, Durrenstein, Koenigsberg, Hoheguisheim…).
Les études effectuées au sujet de la taille des pierres ont enrichi nos connaissances.
En ce qui concerne l’appareillage, le conférencier a constaté que la taille des pierres utilisées dans les constructions est réalisée avec plus ou moins de soin selon les époques et selon la destination des bâtiments.
- Rudrauf a noté que certains châteaux (Guirbaden, Herrenstein, Hagelschloss…) présentaient des constructions en arcade, parfois de portée importante. Par exemple 6m au Hagenschloss, avec d’ailleurs actuellement des signes de grande fragilité et une menace de disparition dans les prochaines années …).
Les édifices religieux (Marmoutier, Lautenbach…) sont construits avec des pierres de taille très soignées, et ne possèdent pas de pierres à bosse, à l’inverse des ouvrages défensifs.
Les tours rondes apparaissent au 13e siècle sur plusieurs châteaux (Kaysersberg, Haut Andlau, Pflixbourg…). Au Wasigenstein, les pierres présentent alors de grosses protubérances.
Les pierres à bosse
- Rudrauf constate que les premières constructions en pierres à bosse apparaissent vers 1140 (Spesbourg, Wasenbourg…), et la question de leur utilité a souvent été posée (liée aux coûts ? à la défense ? à la résistance aux béliers ?…). Des usages farfelus sont aussi avancés parfois, comme leur avantage pour grimper aux murs, mais aussi leur contraire (empêcher l’escalade…).
La réponse tient sans doute à un souci d’économie de temps et moyens de construction des bâtiments, en ne taillant que les joints et conservant la face brute. L’effet ainsi obtenu donne aussi une impression de robustesse à l’édifice.
Cette impression de puissance est devenue une « mode » pendant des siècles.
- Rudrauf a constaté que les pierres à bosse n’étaient pas travaillées de la même façon sur les différents sites étudiés.Leurs dimensions sont variables, de l’ordre de 35cm de hauteur sur 60cm de largeur, et parfois être beaucoup plus importantes (45cm x 120cm), et un poids évalué à 1,5 tonne!
De même, leurs protubérances pouvaient atteindre 10cm, voire plus (15cm et au-delà…) selon les édifices.
Des différences dans la taille des liserés ont également été mesurées (2,5cm, 3,5cm…).
- Rudrauf constate que les pierres, à partir du 13ème siècle, sont travaillées différemment.
Certains châteaux (Hagueneck) présentent des pierres à bosse en forme de coussinet aux surfaces soigneusement taillées, réduisant d’autant la symbolique défensive du côté rupestre.
Aux16e-17éme siècles, les pierres à bossage n’ont plus qu’une fonction décorative. Pour cette période, on en trouve d’ailleurs surtout dans certaines maisons villageoises ou de petits bourgs. Peut être s’agit-il alors d’une simple réminiscence inconsciente de ces fameuses pierres à bosse.
Les marques des tailleurs
A partir de 1180, M. Rudrauf constate l’apparition de marques lapidaires sur les pierres de construction. Leur fonction n’a pas toujours été comprise ; probablement s’agissait-il de la marque spécifique d’un tailleur sur un chantier précis dans le but de faire reconnaître son travail à des fins de rémunération (mais le même ouvrier était susceptible de changer sa marque sur un autre chantier…).
- Rudrauf reconnaît que l’on ne sait pas toujours de manière précise comment ce système pouvait fonctionner. Il précise qu’à la Renaissance, les marques dites « de tâcherons» seront de façon certaine plus personnelles et tiendront lieu de signature, sans forcément de lien avec une rémunération.
Dans certaines constructions, les marques lapidaires sont des numéros d’assise qui correspondent aux rangs de pose. Leur fonction est donc de faciliter le travail des maçons. C’est le cas par exemple du logis du Haut-Barr au16e siècle où il y a 2 marques sur chaque pierre. Elles correspondent à des hauteurs en pieds (1pied, 1pied 1/4, 1pied 1/2…). Au Honack ont été repérées 14 hauteurs différentes.
Un débat a suivi la conférence et M. Rudrauf a répondu aux nombreuses questions d’un public très intéressé.
Les discussions se sont poursuivies autour d’un verre de l’amitié offert traditionnellement par la municipalité à la suite des assemblées générales.